La plus ancienne danse macabre au Klingenthal, à Bâle 1

Danse des morts

En ce temps de pandémie du COVID-19, nos pensées vont d’abord aux malades et au personnel soignant. Ensuite elle vont aux vulnérables: nos proches de santé précaire, nos aînés; les peuples menacés (plus que jamais) d’extinction faute d’être respectés, et faute d’avoir les moyens de se défendre contres les maux de notre civilisation; et les citoyens captifs au sens fort du terme de pays fragiles du point de vue sanitaire, économique, social… ou les trois à la fois.

Et la danse, soudain, paraît de peu de pertinence. S’il s’agit de danse individuelle: comment danser en étant confinés? Peut-on maintenir le sens de la danse, éminemment sociale, dans l’isolement? Pourrait-on reconstituer un collectif à partir d’un vécu solidaire de la danse?
S’il s’agissait de danse collective: comment tolérer l’idée même de danse à dimension sociale, alors que cette activité est si massivement associée avec celle de fête, de joie, ou tout au moins de partage d’une et même corporalité? Comment se permettre de transgresser en dansant ensemble, sans faire preuve d’inconscience, d’incivisme ou alors sans être très sélectifs (on pourrait imaginer un bal des immunisés)?

Ces questions se posent. Y compris si l’on fait un parcours à rebours de l’histoire. La danse depuis le temps de la valse (XIXe siècle) est synonyme de rapprochement des corps; elle impliquait déjà de se donner la main au temps de la contredanse, du menuet ou de la courante (XVIIIe siècle). Quelques siècles avant, le branle (principalement décrit au XVIIe siècle) ou la basse danse (dont des écrits témoignent entre le XVe et le XVIIe siècle principalement) exigeait qu’au moins deux partenaires se touchent, et, nécessairement, franchissent la barrière des deux mètres de distance.

Aucune de ces danses anciennes ne font écho à notre vécu. C’est ainsi bel et bien la danse des morts, ou danse macabre, dont les premiers témoignages nous viennent du Moyen Âge, qui se fait, seule, miroir de la situation de pandémie. Non pas parce que de telles danses des morts ou danses macabres se pratiquaient, bien au contraire. Nous n’avons aucune trace, du moins dans le catalogue Cadanse, qu’elles ne fussent jamais… vivantes.

Si la danse des morts ou danse macabre fait écho à notre situation de pandémie, c’est qu’elle illustre d’abord la peur à la fois individuelle et partagée d’être choisi·e·s par la mort pour être entraîné·e·s dans son sillon, et ensuite la conscience de la manière profondément démocratique dont agit la mort. Oui, depuis notre naissance, nous sommes tous concerné·e·s par la mort. Nous sommes tous susceptibles d’en être… touchés. Peu importe notre âge, notre fonction, notre rang; ou notre rayonnement. Et si nous voulions refuser la « danse » que nous propose la mort voulant nous entraîner par delà notre existence terrestre, nul doute que nous ne pourrions en réalité que différer l’expérience (pour autant que la mort soit une expérience). La pandémie ne nous apprend rien de cela, mais nous le rappelle avec une insistance peu coutumière. Elle nous rappelle aussi, tout comme les images illustrant les danses des morts ou danses macabres, que les réponses à ces évidences sont d’une variété extraordinaire. Ainsi, certes, à l’heure du COVID-19, nous sommes dans une certaine mesure « tous à la même enseigne » (celle d’une conscience exacerbée de notre « finitude »), mais chacun vit la situation relativement singulièrement; quoique, peut-être, quelques communautés se dessinent.

Pour ce qui est du projet Cadanse, le temps du confinement, il lui faudra poursuivre le travail hors des bibliothèques. Puisse ce temps être productif, et inviter les concepteurs et les lecteurs du projet… à se rapprocher. Que chacun des visiteurs se sente donc assuré qu’elle·il est accueilli·e, ici, en ami·e de pensées et de conceptions de la danse qui, bien qu’écrites, n’en sont pas moins… vivantes.

Pour le projet Cadanse,

Dóra Kiss