[Divers auteurs, Direction de Police du Canton de Fribourg, préfecture de la Gruyère...]

Danse: affaire de Bulle

octobre-novembre 1889
1889 octobre et novembre
Consultation: sur place

Type

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Disponibilité

Langue(s)

Description matérielle

  • Enveloppe contenant des feuillets et des feuillets libres manuscrits.

Dimensions

  • 24 cm x 40 cm (oblong)

Catalogue

  • AEF

Ressources électroniques

  • Non renseigné

Mots-clés

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Résumé critique du corps du texte

Le dossier documente l’affaire de Bulle en lui apportant plusieurs pièces:

1er  octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). Direction de la Police du Canton de Fribourg. Le préfet ponctuellement prend la défense de la danse: « La danse n’est pas une chose réputée immorale et défendue puisqu’il y a une loi qui en règle l’usage ». Il écrit aussi: « si je fais condamner la jeunesse elle ira à Lausanne en jouant sur [?] danse publique ». Par ailleurs il demande « des instructions » afin de gérer l’affaire en cours. À ce moment-là, le préfet paraît donc plutôt disposé à laisser danser la jeunesse sur le territoire dont il a la responsabilité.

1er  octobre 1889. Préfecture de la Gruyère. Au Conseil d’État du Canton de Fribourg. Demande de précisions sur la différence entre danse publique et danse privée.

3 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Depuis la lettre précédente datée du 1er octobre, le ton du préfet a changé. Il semble maintenant convaincu de devoir réprimer la danse. « J’ai gagné le président de la jeunesse de Bulle que j’ai pu convaincre que celle-ci se laissait conduire dans un guépier [sic] par des gens qui s’éclipseraient au moment de répondre à la justice. Il m’a promis de faire son possible pour dissuader les jeunes gens de danser […]. »

3 octobre. Direction de Police du Canton de Fribourg. Au Conseil d’État de Fribourg. Précisions sur la différence entre danse publique et danse privée en réponse aux questions posées à cet égard, pour le cas particulier de la fête prévue à Bulle par la jeunesse. La Direction de Police précise:  » Nous estimons que dans ces conditions, la jeunesse de Bulle ne tomberait pas sous le coup de l’art. 2 de la loi précitée [loi sur la danse de 1882]. Il y aurait cependant une réserve à faire, c’est que cette danse n’ait pas lieu en public. » Et de répéter les conditions précisées ailleurs: « Elle [la danse] devrait avoir lieu  dans une cour fermée, dans un verger clos ou une salle particulière en dehors d’une auberge. » Le Directeur cependant menace:  » En cas d’abus, vous aurez à prendre note de contraventions et à les réprimer en vertu de la compétence qui vous est accordée  par l’art. 46 de la loi sur l’organisation judiciaire. L’ensuite de la sommation régulière, s’il y a en outre résistance à l’autorité, vous aurez à déférer aux tribunaux judiciaires, en vertu de l’art. 322 du code pénal. »

4  octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la direction de la Police du Canton de Fribourg. Le préfet explique que « le secrétaire de la société de tir » lui a révélé que le 13 octobre, la jeunesse semblerait « vouloir danser entre le tir et les cibles ». De conclure: « J’attends la semaine prochaine la réponse du Conseil d’Etat à une lettre concernant la danse publique et la privée. » Autrement dit, désormais, le préfet semble vouloir surtout chercher à se couvrir, et non plus à défendre la possibilité, pour la jeunesse, de pratiquer la danse.

5  octobre 1889. Conseil d’État du Canton de Fribourg. À la préfecture de la Gruyère. Demande de précisions sur la différence entre danse publique et danse privée.

7 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Le préfet rapporte avoir rencontré plusieurs personnes le renseignant sur l’organisation de danses: la jeunesse « irait danser le dimanche prochain, probablement dans le pré de M. l’avocat Morard », puis elle organiserait deux soirs de danse dans l’Auberge de Tir tenue par M. Morand. Le préfet aurait dit à ce dernier « que la jeunesse ayant déjà dansé le dimanche, aurait sans doute besoin de se reposer avant les autres [sic] le lundi et mardi et que par ce fait […] [il n’obtiendrait] permission que jusqu’à neuf heures […] ».

7 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Demande de conseils sur la manière de régler l’affaire (de l’organisation de moments de danse par la jeunesse en prévision d’une danse le jour de la bénichon), entre autres avec les aubergistes.

9 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Le préfet, décidément, semble toujours davantage préoccupé par sa réputation auprès de la Direction de la Police. Il écrit: « Je m’empresse de porter à votre connaissance que la société des danseurs de Bulle a  présenté ses statuts au greffier du Tribunal pour être enregistrés au registre du commerce ». Le fait dénoncé est précurseur, peut-être, de la création d’organisations de défense de la pratique de la danse, mais aussi du développement de groupe folklorique destiné à présenter des démonstrations, au détriment d’une danse sociale et populaire.

9 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Le préfet semble soulagé d’avoir appris que « la musique » (c’est-à-dire la fanfare) ne se rendrait pas à la danse du 13 octobre. Il ajoute: « Afin de m’assurer qu’elle [la fanfare de Bulle] ne se laissera pas gagner au dernier moment, je l’ai [le directeur de la fanfare] invité à venir jouer à la soudée des vêpres au café gruyérien où il y aura pour elle [la fanfare] un bon coup à boire. » En s’en prenant aux musiciens qui pourraient accompagner les danseurs, le préfet ne ménage donc pas ses efforts pour que le projet de danse échoue.

10 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. La lettre démontre que  l’affaire semble par moments tout à fait hors contrôle, et que les influences sont nombreuses et contradictoires. (Voir l’annexe, qui contient ce courrier entièrement reproduit).

10 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Lettre de résolution, pourrait-on croire. « Je considère l’affaire de la musique comme arrangée ». Il ajoute: « Je serai content quand ça sera terminé mais j’enragerai [sauf erreur de lecture] jusqu’au bout. »

10 octobre 1889. Préfet de la Gruyère. À Monsieur le Conseiller. La lettre est sans les ambiguïtés qu’on peut  trouver ailleurs sous la plume du même préfet: « Décidément on fera bien de revenir de l’art. 31. » L’agacement du préfet s’explique, étant donné qu’il se sent bien peu soutenu dans sa tentative d’interdire la danse le jour de la bénichon et les autres jours où elle se prépare. Il explique: « On m’a rapporté hier que plusieurs ecclésiastiques signataires de la pétition [pour l’application de la loi interdisant la pratique de la danse les jours fériés] ont déclaré qu’ils n’avaient visé que les danses du dimanche qui se faisaient à Montey Tinvoly [?] etc. mais qu’il ne leur serait jamais venu à l’idée qu’on supprima la danse du dimanche de la bénichon […]. »

11 octobre 1889. Préfet de la Gruyère. À Monsieur le Président. Le préfet assure encore une fois que la fanfare ne rejoindra pas la société de la jeunesse [autrement dit, l’événement dansé serait compromis par l’absence de musiciens].

11 octobre 1889. Préfet de la Gruyère. À Monsieur le Conseiller. L’inquiétude  du préfet semble remonter, car il écrit: « Ayant demandé ce matin à M. Feigel quelle musique aura la jeunesse dimanche pour son cortège et sa danse, il me répondit que M. Morard l’aubergiste lui prêterait la sienne. » Le préfet demande ensuite au Conseiller qu’il envoie son fils auprès de Morard pour tenter de le dissuader « de se compromettre là dedans ».

13 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). Au Conseiller. La lettre retrace que tous les efforts du préfet n’ont pas suffit à rendre la danse impossible (voir pièce jointe).

15 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. La lettre mentionne deux courriers au Conseil d’État qui relateraient les faits du 13 octobre, et qui malheureusement manquent au dossier. Elle évoque le changement de position de certains curés, dans l’affaire: « J’ai appris de divers côtés que Mrs. les Curés ont rempli leur devoir en recommandant l’abstention de la danse pour le dimanche, celui de Gruyères entre autres a été très correct. » À Bulle le curé Freysan avait « parlé en chair de la vogue en recommandant de bien s’amuser tout en évitant le péché sans parler ni du dimanche ni de la danse, d’où on a conclu qu’il approuvait la manifestation » et il a délégué un collègue à la messe suivante, qui n’a pas parlé de danse. Chacun a pu —et  peut encore— interpréter les faits comme bon lui semble. La lettre relate par ailleurs plusieurs moments de danse organisés par la jeunesse, et montre que cette dernière est assez rebelle, à en croire ce que raconte le préfet: « Dimanche on a contourné ma maison en criant […]. » Malheureusement, le préfet ne raconte pas ce qui a été crié. Il faut dire qu’il insiste généralement davantage sur ses succès  que sur ses défaites, comme ici: « De la musique de Bulle un seul membre s’est joint aux musiciens de Lucens. […] Ordinairement les musiciens de Lucens sortent en tenue, ils portent un joli uniforme, je crois que quand ils ont connu le motif du refus de la musique de Bulle, il n’ont pas voulu compromettre leur uniforme et sont venus en bourgeois. »

18 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Le préfet commence ainsi:  « J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre bon de 100 [CHfs] qui est de l’argent bien appliqué. » Il termine par « J’ai eu hier la visite de M. J[?] qui m’a beaucoup parlé de vous et qui me paraît vous affectionner; je l’ai reçu de mon mieux ». Ces deux phrases laissent penser que sous l’affaire de Bulle se cache, peut-être, une histoire de petite corruption.

18 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Cette lettre, tout au contraire de la précédente, cherche à dissimuler la petite corruption dont il s’est probablement en partie agi, dans l’affaire de Bulle, par exemple avec ces lignes qui sont contradictoires avec d’autres documents: « Les journaux ont menti […]. La musique n’a subi aucune pression mais elle s’est rendue à mon raisonnement et a reconnu que sa place n’était pas au cortège [de la bénichon, où une pantomime était prévue]; ceux qui ont provoqué le refus ne sont au reste pas des membres fonctionnaires. »  Mais dans cette lettre figure aussi un aveu de faiblesse des autorités politiques et législatives par rapport aux autorités religieuses: « L’opinion en général est que si Mr. le Curé de Bulle avait voulu l’entraver, le cortège n’aurait pas eu lieu et encore moins la danse ; la plupart des filles qui y ont pris part lui auraient obéi et un seul mot de sa  part aurait suffit pour les retenir et désarmer ainsi les jeunes gens. Son silence a été considéré comme un  acquiescement qui s’est traduit en encouragement ».

20 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. L’affaire devrait être terminée, mais elle ne l’est pas encore. Maintenant ce sont les plaintes qui sont déposées contre les contrevenants à la loi interdisant la danse les dimanches de fêtes. Le préfet écrit: « Il faut veiller à ne pas répéter le scandale et en éviter un plus grand. » Puis il démontre qu’il compte frapper fort: « j’ai fait déposer une plainte contre les membres du comité d’abord, puis contre chacun des danseurs qui seront traduits séparément devant le tribunal ».

20 octobre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Le préfet s’enorgueillerait-il de la chute de  l’histoire? « À Bulle les trois membres du comité de la jeunesse sont assignés au tribunal pour le 9 novembre […]. Les jeunes gens sont furieux contre Vaecher des Alpes qui leur a demandé 90 francs pour avoir donné à dîner et souper aux 10 musiciens. (Bien fait). »

3 novembre 1889. Préfecture de la Gruyère (préfet). À la Direction de la Police du Canton de Fribourg. Point de situation par le préfet, qui commence par être factuel: « C’est le 9 courant que les 3 membres du comité des danseurs paraîtront devant le tribunal correctionnel […] » Mais ensuite il est presque cynique. « [Vaucher] était furieux et parlait de fermer son hôtel, j’ai été sur le point de lui conseiller d’aller s’établir à Lucens pour être plus tranquille ».

14 décembre 1889. Le Conseil d’Etat du Canton de Fribourg. À la Direction de la Police. Fin de l’affaire, qui laisse penser que  le préfet de la Gruyère et le Directeur de la Police du Canton de Fribourg ont dû être fort déçus des décisions prises par le Conseil d’État (voir pièce jointe).

 

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